Expo « Portraits de poissons » à la Cave Romagnan
Le contexte :
Victime de la crise comme tant d'autres, je me suis retrouvé au chômage en avril. Changement de rythme de vie, propice à redécouvrir les bonnes choses de la vie (les baignades, le matin, au Castel ou à
la Réserve
), la vie de quartier (Malausséna, le marché), mais propice aussi à une remise en question et à des interrogations naturelles sur l'avenir, la mobilité géographique, l'employabilité et autres joyeusetés du même acabit. Je profite du temps libre en me gavant de cours de peinture, de sculpture et de croquis à la villa Thiole toute proche.
Le déclic :
Une nature morte aux maquereaux et aux mulets, installée à la villa Thiole par Patrice Juge pour ses élèves, attire mon attention.
Si dans le passé, étudiant la peinture à l'huile aux beaux arts de Grenoble, je me suis ennuyé devant des natures mortes sans intérêt, je prends conscience qu'aujourd’hui c'est différent, qu'il y a la chair, et qu'il y a l'obligation d'aller plus vite que la décomposition, ce qui me rapproche de l'urgence des croquis de nu.
La justification :
Habitant juste au dessus du marché au poisson, croisant les mêmes poissons en mer quotidiennement, poussé de surcroit à la consommation de poisson par le médecin, le projet devient incontournable : je ferai des croquis de poissons à l'huile et je les mangerai.
L'étude préalable :
Il aurait fallu suivre le thème du poisson dans l'histoire de la peinture, mais je me suis limité à consulter maitre Soutine et ses natures mortes aux poissons, à revisiter ses portraits, et à observer des obsessions entre nourriture et tabous.
La Procédure :
Une procédure se met naturellement en place : D'abord choisir avec soin sur les étals du marché au poissons quelques beaux spécimens d'une espèce de méditerranée (rougets, rascasses, mulets, dorades, barracudas, liches, ...) sans les vider ni les écailler. Les suspendre ou les installer au dessus de l'évier de la cuisine dans une mise en scène minimale. Amener chevalet, tubes de peinture à l'huile, couteaux et pinceaux, faire rapidement un croquis à l'huile du ou des poissons. Ranger le matériel. Vider, écailler, cuire les poissons, mettre la table avant le retour de l'école de Sophia. Après le repas, faire une photo et un petit texte humoristique. Mettre sur le blog.
Les étapes :
Au début de la série, je suis attiré par le mode de vie et les caractéristiques des espèces, que je vois souvent sous l'eau, en mer. Coté mise en scène, le questionnement porte sur la lumière, le reflet irisé des écailles et sur l'interaction avec le seul élément de décor (l'évier). L'attachement à la ressemblance de l'espèce amène l'idée du portrait (voire de l'autoportrait) et même du nu. Puis viennent les nombres : 1, 2 ou 3 poissons, qui créent des scènes de famille sur lesquelles viennent se greffer mes petites histoires quotidiennes (joies, colères, recherches d'emploi). Les jeux de mots sont intégrés au tableau et le délire verbal du blog augmente, alimenté par la tension psychologique créée par le lien trouble entre peindre, dépecer et manger le "modèle mort". Le passage du modèle vivant à la nature morte, et du travail au chômage ont révélé des connections troublantes. La série prend fin au moment où je retrouve un emploi (rapidement, heureusement !). L'exposition éphémère de cette série sur un des étals du marché aux poissons permet de boucler la boucle en rendant les poissons au marché. L'exposition quelques mois plus tard à la cave Romagnan clôt cette histoire.